11è REI
BEDRICH Frédéric Joseph a fait partie du 11e REI, où il était affecté à la 5e compagnie. Selon le capitaine Lanchon, il est de nationalité tchèque. Les informations disponibles proviennent des lettres du capitaine Lanchon et du compte rendu du lieutenant Chevillotte.
Bedrich occupait le poste de chef de pièce de mortier de 60 mm avec le grade de caporal-chef. Il est fait prisonnier le 23 juin 1940, mais parvient à s'évader et se retrouve au 2e REI à Marrakech à la fin de l'année 1940.
Le 11 janvier 1942, il est décoré de la Médaille militaire, avec la citation suivante :
"Gradé d'une rare intrépidité. Le 18 juin 1940, sa compagnie, installée entre Ourches et Saint-Germain-sur-Meuse et subissant de violents tirs ennemis causant de lourdes pertes, a, par deux fois, assuré la liaison avec le poste de commandement du bataillon. Lors de la deuxième liaison, ayant appris qu'un ordre important devait être donné à son unité et que deux agents de transmission venaient d'être tués en tentant de le porter, et qu'un troisième avait renoncé en raison de l'intensité du feu, il s'est offert pour assurer lui-même cette liaison et a réussi, sauvant ainsi les survivants de son unité."
Je ne connais pas sa date et son lieu de naissance. Toutefois, le prénom Frédéric est probablement la forme francisée de son prénom tchèque, Bedrich, qui peut également se traduire par Friedrich ou Fritz. Une autre piste pour l'identifier se trouve dans le Journal Officiel du 23 décembre 1949, où un certain "M. le sous-officier Bedrich Bedrich (Joseph)" apparaît au tableau d’avancement pour le grade de sous-lieutenant à titre étranger, en Extrême-Orient. Il est possible qu'il s'agisse du même homme.
Finalement, j'ai pu identifier ce caporal-chef comme étant Bedrich Josef Bedrich.
Bien que les détails sur ses origines et sa carrière militaire avant de devenir sous-lieutenant demeurent flous, son acte de bravoure du 18 juin 1940 est largement documenté. Ce jour-là, il réussit à sauver de nombreux camarades en assurant une liaison vitale entre le poste de commandement du capitaine Le Moine et la côte 292. Cet acte héroïque lui vaut la Médaille militaire, attribuée à titre exceptionnel sur proposition du capitaine Le Moine.
Bedrich a également été témoin de la mort du capitaine Lanchon, et une lettre qu'il adresse à sa famille décrit la position intenable de la 5e compagnie le 18 juin 1940. Cette journée tragique, marquée par la quasi-disparition de la 5e compagnie installée à la côte 292, est reprise dans les ouvrages de Luce Coupin et Roger Bruge.
RAPPORT SUR LA MORT DU CAPITAINE LANCHON CDT LA 5ème COMPAGNIE :
La 5ème Compagnie a reçu l'ordre de protéger le repli des 6 et 7èmes Cies envoyées dans la nuit faire une contre-attaque. Le Capitaine LANCHON Cdt la 5ème Compagnie a placé sa compagnie de la façon suivante : deux Sections sur une crête, face à une lisière de bois d'où l'on attendait l'arrivée de la troupe ennemie. Les deux autres Sections à gauche et à droite de cette crête. La Section du Cdt se trouvait à proximité du P.C. du Bataillon commandé par le Capitaine Lemoine. Ces P.C. se trouvaient en bas de la crête à une distance de 600 mètres dans un bouquet d'arbres. Le Capitaine LANCHON a manifesté le désir d'aller avec les deux sections qui ont été placées sur le sommet de la crête. Etant Chef de pièce au mortier de 60mm, mais n'ayant plus de munitions, j'ai demandé au Capitaine de l'accompagner. J'ai demandé deux agents de transmission. Nous étions depuis 20 minutes sur nos positions lorsque nous avons commencé à voir l'arrivée de l'ennemi. Le Capitaine ayant pris le commandement de deux sections, commandées par le S/Lt BERTOT et le Chef HEIM, ordonna l'ouverture du feu. Après une vive fusillade de part et d'autre, le Capitaine m’envoie à la section de Commandement chercher l'Adjudant de Cie avec le restant des groupes de transmission et de mortier. J'ai mis 40 minutes à effectuer cette liaison et à mon arrivée je n'ai plus trouvé la section de ctd. Le Chef HALLEMEIER(1) ff. adjt de Compagnie a été mortellement blessé, deux observateurs tués et trois autres blessés. Un seul homme restait sur les lieux ne pouvant descendre en raison de la fusillade et du bombardement à vue de l'ennemi. Revenant près du Capitaine, je lui rendis compte. Il était en train de faire un compte rendu sur le manque de munitions et sur les pertes en hommes de ses sections. Quelle heure est-il? a-t-il demandé au Lt BERTOT qui se trouvait à quelques mètres de lui. J'ai répondu- ( il était exactement 13 heures 15mm ). Il est 13h15 mes enfants, dit le Capitaine. On entendait les éclatements des obus. Encore un, dit le Capitaine, baissez les têtes. On entendait les éclatements très près de nous. Y a-t-il des blessés ? C'était le Capitaine qui demandait chaque fois. Encore deux, mon Capitaine, dit le chef HEIM(2), ils sont tués. Ceux-ci ont fait leur devoir, dit alors le Capitaine LANCHON, nous n'avons pas encore fait le nôtre. Je l'ai regardé, il était à trois pas de moi il était très fatigué; le visage jaune avec les yeux d'un homme qui n'a pas dormi depuis plusieurs jours. Les obus continuaient à tomber de tous les côtés. L'ennemi nous a bombardés avec une cadence rigoureusement exacte. Chacun de nous pensait : " celui-ci est pour moi ". Nouveaux sifflements. Baissez les têtes, mes enfants. Après cette recommandation, j'attendis la question habituelle : Y a-t-il des blessés ? mais cette fois-ci le silence. Je lève la tête dans la direction du Capitaine LANCHON, mais je ne vois plus personne. A l'ancienne place du Capitaine se trouve un grand trou. Malgré le danger, je me lève complètement, je cherche partout, je ne vois absolument rien. À dix mètres, j'aperçois un casque et un brodequin auquel pendent des lambeaux de chair, c’est tout ce qu’il reste du Capitaine Lanchon.
Il était exactement 13h30. Il avait conservé jusqu'au dernier moment un moral qui nous a tous soutenus. Sur l'ordre du S/Lt BERTOT, je cours au P.C. du Bataillon, et je rends compte au Capitaine LEMOINE. Celui-ci venait de recevoir l'ordre de repli de la 5ème Compagnie - il avait envoyé depuis trois quarts d'heure quatre agents de transmission, mais aucun n'était parvenu auprès du Capitaine LANCHON.
Je remonte sur la crête et transmets l'ordre de repli. Le 5ème Cie a été complètement anéantie.
Fait à Meknès le 3 octobre 1940.
(1) le sergent chef Hallemeier ne semble pas avoir été tué. Le lieutenant Chevillotte rapporte qu'il est blessé. Son nom ne figure pas sur le site mémoire des hommes.
(2) le chef Heim pourrait être le sergent chef HAIM Dario. Avec le 11è REI il reçoit une citation à l'ordre de l'armée.
Marrakech, le 7 Décembre 1940.
RAPPORT
du Capitaine LE MOINE, ex-commandant p.i. du 2è bataillon du 11è Régiment Etranger, tendant à l'attribution de la médaille Militaire à titre exceptionnel au Caporal-Chef BEDRICH, anciennement du 11è R.E.I.
Le 18 Juin 1940, la 5è Cie du 11è R.E.I. se trouvait engagée dans des conditions particulièrement tragiques. Cette unité recevait vers 8h du matin pour mission de s'installer défensivement entre Ourches et St Germain-sur-Meuse et d'interdire le débouché des bois de Void.
L'installation se fit en partie sous le tir des armes automatiques ennemies exécutant des tirs lointains. Nos munitions étant extrêmement limitées, l'ordre fut donné par le Chef de Bataillon de n'ouvrir le feu qu'aux courtes distances.
A 9h une batterie ennemie s’installait en pleines vues en lisière du bois de Void et exécutait un premier tir à vue directe à 1200m, causant de grosses pertes à la 5è Cie. Le Caporal-Chef BEDRICH vint m'apporter un compte-rendu à son Ct de Cie me disant que la position paraissait intenable et qu'il avait l'impression que son unité allait être rapidement exterminée.
Le tir de cette batterie qui faiblement combattue par notre artillerie avait du modifier ses emplacement reprit alors avec rage.
A midi, je reçus l'ordre de faire décrocher des éléments lourds, puis des éléments d'infanterie. J'envoyais un 1er agent de transmission au Cap. LANCHON porter l'ordre de décrochage de la 5è Cie. Ce légionnaire fut tué après un parcours de 20m.
Un second agent de transmission fut également tué. Un troisième revint à mon P.C. me déclarant : "Il est absolument impossible de passer. Si j'insiste je suis sur de ne pas arriver."
C'était le dernier agent de transmission qui me restait. A ce moment arrivait le Caporal-Chef BEDRICH me rendant compte de la mort de son capitaine pulvérisé par un obus. Les pertes de la 5è Cie étaient effroyables mais les armes automatiques étaient toujours servies.
Mon P.C. était encombré de blessés. Je mis BEDRICH au courant de l'ordre de décrochage et de l'impossibilité dans laquelle je me trouvais d’en aviser sa Cie. Il me répartit aussitôt : "J'y vais, mon Capitaine. " Je lui déclarais que son sacrifice serait une fois de plus inutile, mais qu'il fallait chercher une autre solution que la liaison par coureur. Il se proposé alors de se lancer au pas de gymnastique en terrain découvert et dès qu'il serait à portée de voix, crier aux survivants de la 5è Cie : "Repliez-vous ". Il avait une chance sur dix de réussir mais cette chance devait être courue. Il s'agissait de sauver les débris de le 5è et de la section de Mitrailleurs qui l'appuyait. Ces légionnaires se seraient fait tuer jusqu'au dernier, la mission de résistance ayant été donnée sans esprit de recul.
BEDRICH réussi dans sa mission, il fut entendu. Une trentaine de gradés et légionnaires ramenant tout l’armement en état de fonctionner décrochèrent impeccablement sous un feu d’enfer. Une dizaine d’entre eux tombèrent au cours de cette opération.
J’estime que les quelques survivants de la 5è compagnie et de la Section de Mitrailleurs, qui l'appuyait doivent la vie au Caporal-Chef BEDRICH et que ce Caporal-Chef est digne d’être décoré de la médaille militaire à titre exceptionnel.
COUPIN Luce, Vainqueurs quand même: le 11e de la Légion étrangère au feu (1939-1940) page 192-193
Des compagnies sont attardées sur la route de Pagny à Saint-Germain, en particulier la cinquième . Ce n'est pas étonnant, car un raz-de-marée constitué d'innombrables convois et de piétons, tente de se frayer un passage vers Vaucouleurs et Neufchâteau. Le capitaine LANCHON, pris dans cette masse compacte , mettra plus de deux heures, avec ses hommes, à atteindre la cote 292, deux kilomètres de là!
9 heures 30 L'occupation du terrain assigné au 11ème est terminée, chacun est à son poste l'Allemand peut venir.
La liaison sur la droite avec les tirailleurs est assurée par le petit groupe de ROMANOVITCH : six rescapés du pont du canal de Void qui ont combattu la veille jusqu'à 17 heures. Tous crèvent de faim et peuvent à peine marcher. Au même moment, des coloniaux du 11ème R.I.C. partent vers l'Ouest au travers du bois de Void, pour défendre la rive du canal. Ils ne vont pas bien loin , l'ennemi est déjà installé ; ils doivent même refluer après quelques pertes, pour éviter l'encerclement. On est bien entourés ! Le lieutenant CHEVILLOTTE est dépêché pour tenter de ramener les deux colonnes qui devaient protéger l'attaque du commandant RYESKI d’ALE GRON sur le pont de Void, et qui se trouvent plus au sud C'est le grand regroupement des forces afin de pouvoir mourir ensemble, les uns près des autres , et non en positions dispersées . Le site que représente la cote 292 est périlleux, d'autant plus qu'on n'a plus le temps d'organiser des abris sur ce terrain découvert, sans aucun retranchement. Position défensive intéressante, puisqu'elle permet de tenir sous le feu des alentours, et notamment le débouché en lisière de bois. Mais on est exposé à l'observation et bien entendu à l'artillerie ennemie, du fait qu'on l'a occupé trop tard.
La 5è compagnie, qui fut déjà si éprouvé au bois d'Inor est à nouveau bien menacée.... les légionnaires s'en rendent bien compte en y prenant position, mais d'ici ou d'ailleurs on ne reviendra pas vivant."
COUPIN Luce, Vainqueurs quand même: le 11e de la Légion étrangère au feu (1939-1940), page 196
"Un autre blessé arrive
« J'en ai plein le ventre, je suis bien touché, dit le sergent-chef HAFKELMEYER…
- Laisse-toi rouler jusqu'ici ».
L'homme se crispe, se met en boule, et arrive à bout de forces.
De nombreux blessés doivent ainsi se laisser aller sur la contre-pente de cette tragique cote 292, se lever, même sur les genoux, c'est la mort, immanquablement.
La cadence des tirs a atteint un point effroyable. Visiblement les Allemands veulent en finir au plus vite et " mettent le paquet ". La situation est absolument intenable pour la Légion, saignée à blanc.
Une heure seulement que le combat dure et la 5ème compagnie n'existe à peu près plus au moment où l'ordre de repli est enfin décidé par le capitaine LE MOINE, remplaçant le commandant RYESKI, après que le caporal-chef BEDRICH soit venu lui annoncer :
« Le capitaine LANCHON, chef de la 5ème compagnie vient d'être pulvérisé par un obus percutant juste sur lui - j'étais à 3 mètres et son corps a été complètement dispersé, c'est affreux ».
C'est un père de huit enfants qui vient de se fondre ainsi dans le néant.
Un ordre écrit enjoint aux rares survivants de rétrograder. Mais l'agent de liaison dépêché revient: impossible de passer....
« Il faut absolument que tu y parviennes, il s'agit de la vie de tous les copains », le légionnaire y retourne et se fait tuer aussitôt. Un autre tente la chance...
« Il n'y a aucun moyen pour y parvenir... s'il n'y avait qu'une chance sur cent de réussir, je l'aurais tentée, mais c'est absolument impossible », dit-il en revenant...
Les balles de mitrailleuses transforment un chiffon tendu en charpie à la seconde même, et en plus les éclats d'obus déchirent l'air de leurs milliers de fragments.
Le Caporal-Chef BEDRICH prend alors une résolution : « Mon Capitaine, je vous demande la permission d'y aller, je réussirai. Quand je ne pourrai plus avancer, je leur crierai de toutes mes forces ; « Repliez-vous, ordre du Capitaine LE MOINE ». Agile, en bras de chemise, col ouvert, plutôt gymnaste que soldat, il s'élance, court à toute vitesse, poursuivi par les tirs des mitrailleuses qui redoublent. Après deux ou trois plat-ventre à proximité de ses camarades, il hurle : « Repliez-vous sur le P.C., tout de suite ! », et est heureusement entendu. Les quelques survivants se lèvent, après avoir ôté la clavette d'assemblage de leur mitrailleuse, chargent l'arme sur l'épaule, et courent en dévalant la pente. L'artillerie s'acharne sur eux, mais ils sont bientôt hors des vues. Pendant ce temps-là, les blessés ont continué à arriver, beaucoup touchés aux pieds, parfois le talon coupé comme à l'emporte-pièce. Pas une plainte, pas un cri ne leur échappe. Un d'eux a même le courage de sourire :
« J'en ai pris un bon coup dans la godasse, je ne peux plus marcher ». Le mouvement rétrograde commencé vers Ourches s'effectue sous un ouragan de feu. La Meuse qui longe la route est une longue suite de geysers, provenant des éclatements d'obus... des éclatements d'obus ... Est-ce que les Allemands vont s'élancer derrière les nôtres ?
Le Sergent-Chef HOUILLE, avec un calme stupéfiant, met de sa propre initiative, un F.M .en batterie face à l'Ouest . "Vous en faites pas, les gars, je protège le décrochement, je partirai le dernier" - cela dit tranquillement, à la légionnaire, quoi .
Les hommes sont surchargés par leur armement, et des munitions supplémentaires prises à leurs camarades tués ou blessés, car rien ne doit rester sur le terrain.... La fatigue est extrême, mais ils vont quand même. Leur mission de retardement de l'ennemi a été parfaitement réalisée. Il en sera de même sur tout le front ."
BRUGE Roger, Les Combattants du 18 juin, T.1 : Le Sang versé, page 496
"La 5e compagnie du capitaine Lanchon pourrait être récupérée plus vite puisqu'elle a été laissée derrière le IIe bataillon, en position de soutien dans un premier temps, de recueil si la situation l'exige. On ne se presse pas pour la ramener sur la Meuse et, au fur et à mesure que les tirs d'artillerie ennemis augmentent en puissance, la position de la compagnie, exposée aux vues sur un glacis, devient difficile . « De mon emplacement, note le sous-lieutenant Collin, j'aperçois au dessus de la crête des arbres les hommes à plat ventre, sans un trou pour s'abriter( ... ). La « 5 » se fait hacher sur place ; les obus tombent et tuent, soulevant avec les corps, des gerbes de terre et de fumée... »
Pourquoi maintenir la compagnie Lanchon dans de telles conditions de vulnérabilité, alors qu'elle ne sert strictement à rien ? Lanchon en a tellement conscience que, sans attendre les ordres de ses supérieurs, il prend sa décision . « La situation était intenable, écrit le sous-lieutenant Bertot, et le capitaine m'a appelé pour me dire qu'il avait décidé de donner l'ordre de repli. » Le capitaine Louis Lefèvre, dit « Lanchon », n'a pas le temps de mettre son projet à exécution : un obus éclate devant lui et le tue sur le coup. C'est le quatrième officier du 11è Étranger tué depuis l'aube du 18 juin. « J'ai pris le commandement pour ramener une dizaine de légionnaires »... , dit encore Bertot. Par un autre itinéraire , balayé celui-là par des tirs de mitrailleuses, le lieutenant Chevillotte ramènera encore une vingtaine de légionnaires de la 5e compagnie, avec les deux seuls gradés ayant échappé au massacre, les caporaux-chefs Bedrich et Cheraffedine."
sources:
- archives famille Lanchon
- archives famille Metman
- René Luce Coupin, Vainqueurs quand même: le 11e de la Légion étrangère au feu (1939-1940)
- Roger Bruge, Les combattants du 18 juin T.1 : Le Sang versé,