11è REI, Prisonniers de guerre, déporté
Parmis les légionnaires du 11è REI prisonniers de guerre, 3 ont été internés au camp 325 à Rawa Ruska. Il s'agissait d'un camp de représaille pour les prisonniers ayant notamment tenté de s'échapper .
BOULANGER Maurice Jean Fernand
- (25/7/1906 - Châlons Sur Marne - France)
- classe 1926, 1er bureau de la Seine, mle 4426
- 2è classe
- liste des prisonniers du 03/04/1941
- Il est interné au camp 325 de Rawa Ruska du 15/06/1942 au 23/01/1943 puis au Stalag VC
- Attribution du titre d'interné résistant pour avoir été interné au camp de Rawa Ruska du 12/06/1942 au 23/01/1943
SANJORGE AVISTU Alphonse Mariano
- (10/5/1907 - Tarragone - Espagne)
- classe 1932, bureau d'Oran, mle 237
- sergent chef
- liste des prisonniers du 25/11/1940
- il est interné au Stalag XI-A puis au Stalag XI-B puis au camp 325 à Rawa-Ruska d'avril 1942 à janvier 1943 puis au Stalag V-C
JAGERSCHMIDT Philippe Christian
- (2/5/1913 - Paris 17 - France)
- classe 1933, 2è bureau de la Seine, mle 2434
- lieutenant médecin
- liste des prisonniers du 07/12/1940
- il est interné à l'Oflag XII B puis au camp 325 de Rawa Ruska
« Rawa-Ruska, camp de la goutte d'eau et de la mort lente »
Laurent Barcelo
Dans Guerres mondiales et conflits contemporains 2001/2-3 (n° 202-203), pages 155 à 164
Qu’est-ce que Rawa-Ruska ? Pour s’acquitter au mieux du nécessaire « devoir de mémoire », il importe de définir avec autant de précision que possible les notions que l’on manie et d’identifier les particularités des différents rouages du système concentrationnaire nazi, en distinguant le camp d’extermination du camp de concentration, le camp de déportés civils du camp de prisonniers de guerre. Dans cette dernière catégorie se singularise le camp de « résistants-prisonniers », le camp de représailles, destiné aux prisonniers français hostiles à l’armistice et guidés par la volonté de poursuivre le combat, soit en s’évadant, soit en contrariant, à leur échelle, la machine de guerre allemande. C’est ce qu’a été le camp de Rawa-Ruska pour environ 24 000 prisonniers français. Mais l’histoire de ce camp, et de la localité du même nom, est plus complexe. Pour les prisonniers soviétiques, les premiers détenus du camp, l’endroit s’est avéré être un camp d’extermination. Pour la population juive de la ville de Rawa-Ruska, parquée en ghetto, le site est devenu l’antichambre de la toute proche « usine de la mort » de Belzec.
La localité de Rawa-Ruska (Rava-Russkaya) est située en Galicie, et fait aujourd’hui partie du territoire ukrainien. Annexée à la Pologne en 1921 par le traité de Riga, la région est assujettie par les Soviétiques lors de l’invasion de la Pologne orientale par l’Armée rouge, le 17 septembre 1939 [2]. Le 27 juin 1941, les armées allemandes envahissent à leur tour le territoire de Rawa-Ruska. Dès les premiers jours de l’opération « Barbarossa », les Allemands établissent des camps de prisonniers de guerre sur tout le territoire conquis [3]. Les prisonniers soviétiques sont donc les premiers détenus incarcérés au camp de Rawa-Ruska (Stalag no 325, Secteur postal no 08509), créé dans une caserne, inachevée, de l’armée russe :
« À l’entrée des prisonniers de guerre au camp, on leur enlevait chaussures et vêtements. On ne donnait presque pas de nourriture aux prisonniers de guerre. Rarement on leur donnait une soupe d’épluchures de pommes de terre ou on les nourrissait avec des pommes de terre gelées, pourries. Les prisonniers de guerre tombaient d’inanition, de faim. Les prisonniers n’ayant plus la force d’avancer, étaient obligés d’avancer sous les coups de bâtons, de fusils à répétitions pour se rendre au travail. La plupart d’entre eux mouraient là, sous les coups reçus. En période d’hiver, les prisonniers de guerre, sous escorte, se rendaient au travail, sans vêtements et sans chaussures. Beaucoup allaient au travail pieds nus, dans la neige et gelaient en route, et ces malheureux, les Allemands les fusillaient. Étant affamés, les prisonniers de guerre se jetaient sur les cadavres de leurs camarades, dépeçaient les cadavres, faisaient cuire la chair humaine et la mangeaient. » [4]
Du mois de juillet 1941 au mois d’avril 1942, plus de 18 000 prisonniers de guerre soviétiques sont détenus à Rawa-Ruska, où ils trouveront la mort. Sous la direction du chef de la Gestapo, l’Oberscharführer SS Stein, et du chef de la gendarmerie, commandant de la ville de Rawa-Ruska Klein, les agents de la Gestapo fusillent sans jugement ceux qu’ils considèrent comme du « bétail humain » [5], ainsi que les militants soviétiques, et enfouissent les corps, emportés sur des remorques de tracteurs, dans la forêt de Wolkowice.
La situation de Rawa-Ruska est particulière (cf. carte ci-après). La localité de Rawa-Ruska se trouve en effet dans le « triangle de la mort », au nord-ouest de Lemberg, à proximité de Lublin-Majdanek, Tréblinka, Sobibor, Chelmno, Belzec. À 19 km de Rawa-Ruska, Belzec, ouvert pendant l’hiver 1941-1942, est le premier camp d’extermination construit sous l’autorité du général SS Globocnik, pour la mise en place de la « Solution finale », planifiée sous le nom de code d’ « Aktion Reinhard ». Dans le courant de 1942, le district de Galicie dont dépendait Rawa-Ruska et ses kommandos de travail est rattaché au « General Gouvernement » placé sous les ordres du Dr Frank. La zone de Rawa-Ruska est placée sous le contrôle de la Reichssicherheitshauptamt (Office central de la sécurité du Reich), et la région est transformée en « Judenkreis », zone d’extermination des juifs.
Le Kreishauptmann Hager, le bourgmestre Laski, les commissaires aux Affaires juives Struchholz et Holz organisent un « comité juif » (Juden Rat) dans la ville de Rawa-Ruska, dans la perspective de traquer et rançonner la population juive [6]. Le 19 mars 1942, la Gestapo et la police ukrainienne procèdent à une rafle dans la ville. Plus de 2 000 personnes sont envoyées à Belzec pour y être exécutées. La deuxième rafle de la Gestapo, avec l’aide de la police ukrainienne, est effectuée le 30 juillet 1942, sous la direction du chef de la Gestapo, l’Oberscharführer Speit. Plus de 2 000 personnes sont de nouveau envoyées à Belzec. Au cours de cet été 1942, les autorités allemandes de la ville de Rawa-Ruska organisent un camp juif, dans la partie centrale de la ville, de l’édifice de la Poste à la place du Marché, où ils concentrent toute la population juive de Rawa-Ruska et des villes environnantes de Nemirow, Uhnow, Magierow. 18 000 personnes environ sont ainsi parquées dans un ghetto délimité par des fils barbelés, et largement condamnées à mourir d’inanition ou du typhus. La troisième rafle, du 7 décembre 1942 au 10 janvier 1943, fait plus de 14 000 victimes. En avril 1943, le camp de la ville de Mosty Wielkie, dans lequel se trouvaient plus de 1 200 personnes juives, est transféré dans la ville de Rawa-Ruska. Dans la nuit du 10 novembre 1943, tous sont acheminés à Borowe, où ils sont fusillés et enterrés dans une fosse. Le même sort a été réservé aux 1 500 personnes juives au camp de Kamionka-Lipcyk, fusillées et enterrées dans la forêt de Sedliska, près de Selysko [7]
L’ « usine de la mort » de Belzec, quant à elle, a fonctionné jusqu’en mars 1943. Puis, la population juive du gouvernement général ayant été massacrée dans sa quasi-totalité, les SS ont détruit leurs installations et, pour maquiller leurs agissements, remodelé le paysage en labourant les terrains, en installant des fermes.
En mars 1942, un avis est apposé dans les stalags. Sur ordre de l’OKW, en date du 21 mars 1942, les prisonniers français et belges évadés récidivistes, ou coupables de sabotages ou de refus de travail réitérés, doivent être transférés sur Rawa-Ruska et ses sous-camps. En tout, environ 24 000 prisonniers de guerre français le seront dans des wagons à bestiaux, à raison de 80 personnes au moins par wagon, avec pour toute nourriture une ou deux soupes, servies dans des récipients de fortune, des boîtes de conserve rouillées, en nombre insuffisant.
Le premier convoi de Français, de 2 000 hommes, arrive à Rawa-Ruska le 13 avril 1942 [8]. Les prisonniers débarquent sous les hurlements des convoyeurs, baïonnette au canon, et des chiens-loups. En posant le pied à Rawa-Ruska, les prisonniers débarquent « dans un autre monde » [9]. Les traces des massacres antérieurs n’ont pas été effacées, et ils prennent conscience des desseins nazis à l’encontre des prisonniers soviétiques et de la population juive. Quant à leur propre sort, il leur semble acquis qu’ils vivent leurs dernières heures [10].
Le camp qu’ils découvrent (cf. plan ci-après) est constitué de quatre blocs, de quatre écuries et de baraquements sommaires. Ces blocs sont inachevés, dépourvus de portes et de fenêtres. L’un d’eux abrite les services généraux du camp et l’infirmerie. Un autre sort seulement de terre. Les détenus sont entassés dans les écuries et dans les baraquements, dépourvus d’eau, de lumière, de chauffage, de latrines. Ils couchent à même le sol ou sur des bat-flanc à trois ou quatre étages, sans paille ni couvertures. Alors que le camp comptera jusqu’à 12 à 15 000 détenus en même temps, il n’y aura jamais qu’un seul robinet d’eau. L’eau qui y coule provient d’une rivière proche, polluée, vraisemblablement en raison de la présence de charniers. Ce manque d’eau sera à l’origine du surnom du camp, « Camp de la goutte d’eau et de la mort lente », lorsque la BBC en dénoncera l’existence, en juin 1942.
Les jours de pluie, ou à la fonte des neiges, la cour est un bourbier. Les hommes marchent les pieds nus dans des sabots ou des claquettes en bois et sont vêtus d’uniformes dépareillés. Dans le dos des uniformes français est peint soit le « KG » soit un triangle ou un disque rouge, « la cible » [11]. Les détenus ne disposent d’aucun récipient pour manger et boire. Pour se nourrir et se désaltérer, les hommes utilisent leurs sabots ou tout objet creux qu’ils peuvent trouver. Des cuillères sont taillées dans des morceaux de bois à l’aide de pièces métalliques aiguisées sur des pierres. Quant aux nécessaires de toilette, ils avaient été confisqués lors de l’arrestation, au passage dans les Strafkompanies, et avant le transfert.
Des rassemblements sont ordonnés à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. L’alimentation est sommaire : le détenu reçoit une soupe par jour avec quelques grains de millet, et de temps en temps, une distribution de quelques grammes de margarine, de marmelade de betteraves avariées. 30 ou 35 détenus devaient se partager une boule de pain quotidienne d’un kilogramme. Matin et soir, chaque homme reçoit ce qui est censé être une tisane, faite à base de décoction de feuilles ou de bourgeons de sapin. Ironie du sort, le camp de Rawa-Ruska est dirigé par un officier allemand du nom de Fournier, descendant d’expatriés protestants français.
Le 14 juillet 1942, les détenus remportent une victoire pour l’honneur. À l’occasion de la fête nationale, ils organisent un défilé. Avec un drapeau tricolore confectionné à partir de lambeaux de tissus trouvés sur place, une partie des prisonniers défilent devant leurs compatriotes, en chantant. Misant sur la méconnaissance de la langue française de leurs gardes, ils chantent la Marseillaise puis parodient les paroles d’autres chants pour manifester leur résolution de ne rien céder moralement à leurs adversaires, ainsi qu’aux autorités de l’État français [12].
L’espace d’une semaine, au mois d’août 1942, les conditions de détention s’améliorent. En effet, averti de l’existence du camp par la « mission Scapini », autorisée depuis l’automne 1940 par les autorités allemandes à veiller sur les prisonniers de guerre français, le Comité international de la Croix-Rouge sollicite une visite du camp auprès des autorités allemandes. Cette visite s’effectue le 16 août 1942. Pour la préparer, les Allemands apportent en hâte quelques modifications pour donner le change, en augmentant notamment les rations distribuées aux prisonniers. Les contacts entre le délégué de la Croix-Rouge et les détenus sont soigneusement évités. Bien qu’il ne puisse être un reflet fidèle de la vérité, le rapport en 36 points élaboré à la suite de cette visite relève néanmoins l’essentiel des insuffisances dans le traitement des détenus : « état de santé général précaire vu l’insuffisance de nourriture » (§ 15) [13]. Cependant, le sort des détenus ne connaîtra pas d’amélioration au lendemain de cet épisode. Les arrivages en provenance de la Croix-Rouge ne seront pas assez conséquents pour lutter contre la disette qui menace les prisonniers. Quant aux colis individuels et aux colis envoyés par le gouvernement français, dont les prisonniers ont été privés pendant les premiers mois de leur captivité à Rawa-Ruska, ils ne parviennent généralement, lorsqu’ils ne sont pas pillés, que fortement détériorés [14].
Rawa-Ruska connaît un hiver rigoureux et long de cinq mois. Le thermomètre chute à – 20, – 30o. L’été peut être en revanche très chaud, et les marécages et les tourbières des environs sont infestés de moustiques. En raison de leur affaiblissement, les détenus sont des cibles privilégiées pour le typhus, la typhoïde, la diphtérie, la dysenterie bacillaire. Lors de l’arrivée du premier convoi, dix médecins français juifs se trouvaient déjà depuis quatre jours au camp de Rawa-Ruska. Il s’agissait d’officiers français déportés, censés assurer le service de santé, alors qu’ils n’étaient dotés d’aucun médicament. De fait, chaque intervention médicale, même mineure, oblige à un recours au « système D » de la médecine de guerre. L’ « urinothérapie » est pratiquée pour cautériser les plaies. Pour soigner otites, maux d’oreilles ou maux de tête : « il était appliqué, régulièrement et le plus souvent possible, de la neige derrière et sur les oreilles afin de provoquer une réaction par le froid ». Arracher une dent, sans anesthésie ni instrument, devient une douloureuse aventure : « il était procédé d’abord à un rinçage de bouche avec l’urine du patient, puis, avec une fourchette préalablement déformée, on lui ouvrait la gencive ; enfin, avec un instrument de fortune, la dent était arrachée, même si au cours de l’opération elle se cassait en 2 ou 3 morceaux ». Par la suite, ces médecins seront répartis dans des sous-camps créés à la suite de l’arrivée de nouveaux convois au camp principal. D’autres officiers médecins les remplaceront, déportés pour les mêmes raisons que les autres internés ou parce qu’ils étaient de confession juive [15].
Les détenus sont envoyés au travail en corvées extérieures ou en Kommandos, sous la menace des baïonnettes ou coups de crosse. C’est sur le trajet de ces Kommandos (Tarnopol, Lemberg, Lwow, Stryj, Skole, en tout une quarantaine) que certains, au péril de leur vie, parviennent à s’évader, en espérant notamment gagner la Hongrie et la Roumanie. D’autres réussissent à rejoindre la Suède soit en se dissimulant dans des cargos, soit en s’emparant de vedettes militaires allemandes. D’autres encore, après avoir combattu avec la résistance polonaise ou ukrainienne, ont pu s’engager dans l’armée soviétique et participer ainsi à la prise de Berlin. Au fur et à mesure que le nombre des déportés augmente, des Kommandos supplémentaires sont créés, sous le contrôle exclusif de l’Abwehr : terrassement sur voies de chemin de fer, champ d’aviation, travaux forestiers, extraction de pierre, de charbon, de tourbe, voire démolition de pierres tombales des cimetières juifs de la région (Trembowla, par exemple). L’effectif des Kommandos varie de 50 à 500 détenus, et les conditions ne sont pas meilleures qu’à Rawa-Ruska. Les détenus français y côtoient, aux travaux forcés, les juifs déportés des pays occupés. Le régime alimentaire n’y est pas plus « substantiel » que celui du camp ; les détenus mangent des herbes et des racines arrachées en cachette.
Le 7 juin 1942, 1 800 hommes sont ainsi transférés à Tarnopol [16]. Ils y aperçoivent la population juive de la ville de Tarnopol, transformée en ghetto, et s’entassent dans deux bâtiments construits en brique rouge. Les soldats allemands qui les surveillent, soucieux de ne pas être affectés sur le front de l’Est, sont sujets aux excès de zèle et font respecter la « discipline de fer » exigée par le colonel Krammer von Moldenberg [17].
IV. BILAN
En 1944, à la suite de l’offensive de l’Armée rouge, les Allemands évacuent les derniers prisonniers de guerre français du camp de Rawa-Ruska, transférés successivement, entre autres, à la citadelle de Lemberg et à Stries. Du 24 au 30 septembre 1944, une commission d’enquête soviétique visite le district de Rawa-Ruska. Dresser une liste exhaustive des massacres commis sur ce site est une entreprise particulièrement délicate. La Commission de district découvre aux environs de Rawa-Ruska : plus de 5 000 cadavres enterrés au cimetière juif situé à environ 480 m du centre de la ville ; 1 500 cadavres inhumés dans la forêt de Borowe, à environ 3 km du centre de la ville ; 4 000 cadavres inhumés à « environ 1 000 m au sud du centre de la ville », à côté du cimetière juif. Le cimetière français, à la lisière de la forêt de Wolkowice, situé à environ 2 km au sud, contient 23 tombes individuelles. Dans la forêt de Wolkowice, à environ 3 km au sud, plus de 8 000 prisonniers de guerre soviétiques torturés et fusillés ont été jetés dans une fosse. Dans la même forêt de Wolkowice, à environ 2 km au sud-est de la ville, il a été enterré plus de 7 000 cadavres de prisonniers de guerre torturés et fusillés. Dans la forêt de Sedliska, près du village de Selysko, à 4 km de Rawa-Ruska, plus de 11 000 cadavres humains ont été retrouvés. D’après la Commission de district, les troupes allemandes ont exterminé dans le district de Rawa-Ruska au total 41 500 personnes : 17 500 civils (les habitants de Rawa-Ruska), 18 000 déportés du camp, 6 000 personnes acheminées du district de Rawa-Ruska à « l’usine de la mort » de Belzec [18].
Trois types de population ont donc payé un lourd tribut à l’occupation allemande du district de Rawa-Ruska : les prisonniers de guerre soviétiques, la population juive de la ville et de la région, les prisonniers de guerre français déportés à Rawa-Ruska pour faits de résistance, par l’évasion ou le sabotage. Le tribunal de Nuremberg s’efforcera de faire la lumière sur le sort réservé à la population juive du district de Rawa-Ruska :
« Mon vocabulaire n’est pas assez riche pour donner une impression exacte des conditions de vie telles qu’elles sont exposées dans le rapport de Katzmann, lieutenant-général de la Police, en date du 3 juin 1943, adressé à Krüger, général de la Police dans l’Est et intitulé : “Solution du problème juif en Galicie”. Je dépose le document L. 18 sous le no USA-277. Plaise au tribunal. Je citerai d’abord les trois dernières phrases précédant celle-ci : “Les conditions que nous avons trouvées dans les ghettos de Rawa-Ruska et Rothatyn étaient tout simplement catastrophiques.” – “Dans la crainte d’être évacués, les juifs de Rawa-Ruska avaient caché dans des souterrains ceux d’entre eux qui étaient atteints du typhus exanthématique. Lorsque l’évacuation dut commencer, la police découvrit que 3 000 juifs environ étaient atteints de cette maladie dans ce ghetto”. » [19]
Le tribunal de Nuremberg établira également comment l’Allemagne nazie a bafoué les diverses conventions internationales qui ont prétendu « humaniser » la guerre et qui régissent les droits des prisonniers de guerre, en l’occurrence les articles 4, 5, 6 et 7 du Règlement de La Haye de 1907, et les articles 2, 3, 4 et 6 de la Convention des prisonniers de guerre établie à Genève en 1929. À ce titre, le cas de Rawa-Ruska a été évoqué au cours des débats :
« Dans notre document URSS-6 (c) sont mentionnés les rapports d’expertise des médecins légistes et les conclusions de ces expertises. [...] Dans ces rapports, il est dit que, dans la ville de Rawa-Ruska, située à 52 km au nord-est de la ville de Lwow, les hitlériens avaient organisé un grand camp pour les prisonniers de guerre. Dans ce camp furent détenus et périrent un grand nombre de prisonniers de guerre soviétiques et français. Ils furent fusillés, moururent de maladies contagieuses ou des suites de la famine. Les recherches des médecins légistes ont permis la découverte d’une série de fosses de grandes dimensions. Certaines d’entre elles étaient camouflées à l’aide de plantes et de verdure. On y découvrit une quantité importante de cadavres en vêtements militaires ou semi-militaires. Sur certains d’entre eux furent découvertes des plaques d’identité des soldats de l’Armée rouge. L’âge des prisonniers de guerre dont les cadavres ont été retirés des fosses varie de 20 à 40 ans. » [20]
Il convient, en évoquant les autorités soviétiques, de mentionner le fait que le camp de Rawa-Ruska n’a pas été recensé sur la liste A 160 dressée par la Commission d’Arolsen. Cette Commission avait été créée par les gouvernements alliés après la guerre (11 pays se sont investis dans cette entreprise) afin de répertorier les différents camps d’extermination, de déportation et d’internement, et de faire des recherches sur toutes les personnes déplacées ou disparues [21]. Mais les délégués n’ont pu poursuivre leurs investigations en territoire soviétique. À partir de 1955, le CICR a pris le relais. Une Commission se réunit une à deux fois par an ; le président de la Commission change annuellement. En 2001, cette charge échoit à la France, qui l’exerce par le biais du ministère des Affaires étrangères. Sa mission consiste aujourd’hui à rassembler, classer, conserver et exploiter les documents relatifs aux Allemands et aux non-Allemands ayant été détenus dans des camps de travail, de détention et d’extermination.
Notes
[1] Citation prêtée à Winston Churchill.
[2] Situation « officialisée » le 28 septembre 1939, par le traité germano-soviétique.
[3] Particulièrement destinés aux Soviétiques, les « camps de la série 300 » avaient pour chef-lieu Poznan (Pozen), et relevaient de la circonscription militaire (Wehrkreis) XXI.
[4] Rapport de la commission d’enquête soviétique dans le district de Rawa-Ruska (24-30 septembre 1944) : rapport demandé aux autorités soviétiques par le Pr Pilichowski, directeur de la Commission principale d’enquête sur les crimes hitlériens commis en Pologne, traduit par D. Dowojna Bienaimé, expert traducteur assermenté près la cour d’appel et le tribunal de grande instance de Paris (traduction no 28981, du 27 juin 1968) et déposé au ministère des Anciens Combattants fin mai 1968. Les faits d’anthropophagie au camp des prisonniers de guerre reposent sur les témoignages de Piotr Golubenko, prisonnier de guerre pendant cinq mois à Rawa-Ruska, Paulina Stiagowa et Joseph Lange, domiciliés à Rawa-Ruska.
[5] Jean-Pierre Azéma, De Munich à la libération, Paris, Seuil, 1979, p. 177. L’auteur évoque dans cette même page le camp de Rawa-Ruska (n. 3, p. 177).
[6] Les précisions sur les noms de personnes et les lieux, ainsi que les estimations chiffrées livrées dans cet article proviennent du rapport de la commission d’enquête soviétique susnommée, ainsi que des documents rassemblés par les membres de l’association « Ceux de Rawa-Ruska ». Le plan du camp, élaboré d’après les souvenirs des détenus, ainsi que la carte sont empruntés à la brochure Envols, publiée par l’association « Ceux de Rawa-Ruska ».
[7] Id.
[8] « Souvenez-vous, ceux du premier convoi – le 10 avril (1942) –, notre convoi à l’arrêt en gare de Dresde, lorsqu’un train vint se ranger tout contre nous sur une voie parallèle. Il contenait des hommes en tenue “Feldgrau” montant sur le front et stupéfaction ! Sur leurs casques et sur leurs manches, l’écusson des trois couleurs de la France, c’était la LVF (Légion des volontaires français), la division Charlemagne : invectives, insultes, et d’un de nos wagons jaillit notre Marseillaise reprise en chœur par l’ensemble du convoi. Dans ce vacarme, l’ennemi fit démarrer rapidement le train de la LVF » (Roger Maire, Ceux de Rawa-Ruska, Aude, 1995, p. 16).
[9] MM Jean-Marc Frebour et René Chevalier, respectivement président et vice-président de l’association « Ceux de Rawa-Ruska ». Parmi les Français incarcérés à Rawa Ruska, entre autres : Pierre Soufflet, père des fusées stratégiques militaires françaises ; Guy Durandin, directeur du laboratoire de psychologie sociale de l’Université René-Descartes de 1969 à 1985 ; André Méric (1913-1993), vice-président du Conseil de la République, puis du Sénat, de 1956 à 1980, secrétaire d’État aux Anciens combattants et victimes de guerre dans le second gouvernement Rocard ; Pierre Gascar (Pierre Fournier, 1916-1997), Prix Goncourt pour le recueil de nouvelles Les Bêtes suivi de Le Temps des morts (Paris, Gallimard, 1953).
[10] « À l’arrivée de notre convoi à Rawa-Ruska (fin mai 1942, convoi en provenance de Düren), un officier allemand, à cheval, s’approche de mon groupe. C’est le commandant du camp. Il nous dit : “Ici, le camp dispose d’un grand cimetière avec beaucoup de place !” » (témoignage du médecin-colonel Jacques Dedieu cité dans Envols, brochure de l’association « Ceux de Rawa-Ruska », mai 1982, p. 13).
[11] « Eh, la cible ! » : les soldats Allemands interpellaient ainsi les détenus.
[12] Témoignage manuscrit de Marcel Toussirot, ancien prisonnier, confirmé par MM. Jean-Marc Frebour et René Chevalier.
[13] La visite du camp de Rawa-Ruska ayant été refusée à la Commission d’Arolsen, Rawa-Ruska n’a pas figuré sur la liste A160 des camps de déportation. Le CICR reviendra à Rawa-Ruska une fois le camp déserté par les Allemands : voir l’inventaire du CICR à Genève (série G59), sous-série G59/12, Visites de camps et ghettos : visite du Camp de Rawa Ruska (20 novembre 1944 - 27 décembre 1944) (cote G59/12 ; Microfilm No14-180).
[14] Irène Michine, Rawa-Ruska, Le patriote résistant, septembre 1991.
[15] Ces docteurs venaient de l’Oflag X C à Colditz, réservé à des « disciplinaires » et à des Juifs.
[16] Yves Durand, dans La vie quotidienne des prisonniers de guerre dans les stalags, les oflags et les kommandos (Paris, Hachette, 1987), évoque les conditions de vie des prisonniers à Tarnopol, le plus important kommando de Rawa-Ruska, situé en Ukraine.
[17] « À Tarnopol, en août 1942, lors de mon premier contact avec le deuxième médecin allemand, ce dernier me dit : “Je ne comprends pas qu’on vous laisse en vie : je tuerai la moitié d’entre vous aujourd’hui, l’autre moitié demain” » (témoignage du médecin-colonel Jacques Dedieu, cité dans Envols, organe de l’association « Ceux de Rawa-Ruska », numéro spécial de mai 1982, p. 13).
[18] Rapport de la commission d’enquête soviétique dans le district de Rawa-Ruska (24-30 septembre 1944). Les tombes n’évoquent que les cas de victimes recensés.
[19] Exposé du major William F. Walsh, Assistant Trial Counsel for the United States, tribunal de Nuremberg, 19e journée : audience du jeudi 13 décembre 1945.
[20] Exposé du colonel Y. V. Pokrovsky, substitut du procureur général pour l’URSS ; tribunal de Nuremberg, 58e journée : audience du vendredi 13 février 1946.
[21] Voir les actes du colloque consacré à cette question par la FNDIRP : Conservation et ouverture aux chercheurs des archives des camps de concentration et du génocide ; étude particulière du service international de recherches d’Arolsen, préface de Serge Wolikow, Paris, FNDIRP, 1999.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2008
https://doi.org/10.3917/gmcc.202.0155