11è REI
Joachim March, est un républicain espagnol, exilé en France en février 1939. Son appartenance au 11è REI est attestée par sa présence dans la liste n°15 des prisonniers français et par la mention de son patronyme dans la revue du régiment (n°11).
Ci-dessous, son histoire depuis son départ d'Espagne, d'après le récit qu'il en a fait à son fils.
Depuis la chute de la Catalogne et l'avancée des troupes nationalistes, le gouvernement républicain se trouve replié dans la ville de Figueras. En février 1939, Joachim "est membre d’un groupe d’artillerie, dont la mission est de protéger la retraite des autres unités et des civils depuis cette ville.
Le 7 février, vers une heure du matin, le lieutenant commandant son groupe décide de quitter la position et tout le groupe prend la direction de la France en laissant derrière lui le matériel militaire. Ils sont les derniers à décrocher de la position."
Au petit matin, Joachim se retrouve au poste frontière de la Jonquera et arrive en France par le Perthus.
Il est conduit au camps de Saint-Cyprien. Les camps des plages du Roussillon, ouverts à la hâte, sont en février constitués que d'une bande de plage entourée sur 3 côtés de barbelés. Aucun équipement n'a été prévu pour l'accueil des réfugiés.
*Les réfugiés espagnols, considérés à la fois comme un poids économique et une menace pour la sécurité intérieure, [...]. doivent choisir entre plusieurs options pour sortir de l’isolement des camps :
- émigrer vers un autre pays (normalement en Amérique latine) ;
- se faire rapatrier en Espagne ;
- obtenir un contrat de travail à l’extérieur des camps ;
- à partir d’avril 1939, rejoindre les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) ou signer un engagement militaire.
Joachim choisit la 4ème option.
Pour la Légion s'est l'assurance de trouver des hommes valides, avec une expérience de combattants: "le 18 avril 1939, une guitoune en tôle est installée à l’entrée du camp où des képis blancs sont présents". Joachim signe un engagement pour 5 ans dans l'espoir de continuer le combat antifasciste. Il falsifie néanmoins sa date et lieu de naissance en déclarant être né le 4 février 1917 à Barcelone.
Dès le 19 avril 1939, il est conduit avec d’autres camarades au fort Saint Jean à Marseille. Le 22 avril 1939, il embarque sur le Sidi Brahim à destination d'Oran.
Arrivé le 24 avril 1939, il est emmené à Sidi Bel Abbès pour y commencer son instruction, il porte le matricule 82623.
Le 29 avril 1939, il est affecté à la compagnie d'instruction n°8 où il est déclaré apte le 30 avril 1939 par le médecin commandant Ticaillon.
Le 25 juin 1939, il est affecté à la C.P 3. Il perçoit le 25 juillet et le 25 août 1939 une solde de 350 francs.
Le 22 août il est affecté à la compagnie de passage n°1
Après l'ordre de mobilisation, on le retrouve successivement à la 25° compagnie et au C.S 1. Le 3 novembre 1939, il est mis en route sur le centre des régiments étrangers de La Valbonne.
Le 15 décembre 1939, il est affecté au 11ème Régiment Étranger d'Infanterie dans la 3è compagnie commandée par le capitaine Emanuelli.
Fan de football, et ancien joueur du FC Barcelone, il est cité dans le N° 11 écho des bouteillons comme appartenant à l'équipe du 1er bataillon.
Après la reddition du 23 juin, Joachim March, "fait parti d'un groupe qui reste caché dans les bois. Se portant volontaire pour aller chercher du ravitaillement, il est fait prisonnier le 25 juin par les Allemands."
C'est le début de ses 5 années de captivité.
Il rejoint l’ensemble des prisonniers qui sont emmenés à Verdun et internés au frontstalag 240.
Dès le mois d'août 1940, les allemands cherchent à identifier les "espagnols rouges", Joachim subit "divers interrogatoires musclés, afin de justifier de sa présence dans la Légion étrangère... Il donne toujours les mêmes informations pour ne pas se faire repérer comme républicain espagnol.
Combien de fois, il m’a raconté ses épreuves et donnant comme domicile une adresse à Perpignan avec un signe de la main qui voulait dire de l’autre côté (des Pyrénées)."
Il est transféré au stalag XI B à Fallingbostel.
Il est identifié sous son vrai nom mais est enregistré comme français. Il a en effet, changé sa date et son lieu de naissance se déclarant né à Béziers.
Sur sa captivité en Allemagne, il raconte "avoir travaillé dans des exploitations agricoles, puis avoir travaillé de nuit dans une boulangerie, à Hanovre ou à proximité. Il devait rejoindre le camp son travail fini.
En cas d’alertes aériennes il n’avait pas droit aux abris qui étaient réservés à la population civile. Il errait dans les rues ou assis sur une pierre en attendant ’’sa bombe’’.
Un matin de janvier 1944, en revenant au camp, il récupère à l’intérieur d’un bombardier anglais (très certainement, un Avro Lancaster), une combinaison de vol pour lui tenir chaud.
A l’arrivée au camp, il a pris ‘’une bonne branlée’’.
On retrouve les éléments du crash sur un document tenu des résistants du camp.
En 1944, au camp de travail de la ville d'Hildesheim, il travaille à l’usine Senkingwerk qui fabriquait des boîtes de vitesses pour char ‘’Panzer’’. Il avait des doutes sur l’origine de certaines pièces qui selon lui devaient être anglaises."
Joachim est libéré par les américains le 7 avril 1945. Le 3 mai 1945, il prend un train en gare d'Hidelsheim pour la France.
En permission de 30 jours du 16 Juin au 19 Juillet 1945, il est démobilisé par le centre de Montpellier et rayé des contrôles le 19 Juillet 1945.
Il a déclaré se retirer à Béziers.
"Profitant de cette période de confusion de fin de guerre, avec plusieurs de ses camarades de captivité, il a visité tous les centres de démobilisation pour percevoir le pécule de 5 ans de captivité sans oublier les cigarettes.
Ces ballades ont duré environ un an. Se retrouvant à Marseille au camp Sainte Marthe, on lui notifie qu’il n’est pas démobilisé. Son départ est prévu pour l’Indochine.
Pour pouvoir sortir de cette situation, avec ses compagnons, ils ont donné leur solde et les cigarettes à la sentinelle et ont disparu.
De retour à Béziers et avec plusieurs des ses camarades, ils montent ’’une petite entreprise’’ de récupération de pneus usagés pour fabriquer des semelles à chaussures .
Devenu ouvrier boulanger à Valras plage, il rencontre une charmante personne et en 1949, il se marie. 3 enfants sont nés de cette union. Il a exercé plusieurs métiers et cultivé la vigne à ses temps perdus. Il s'installe dans un petit village du Minervois à Azille (Aude).
En 1989, 50 ans après son départ d’Espagne, je l’ai ramené dans ce qui était son village natal Rubi. Il a retrouvé sa cousine Paquita et certains compagnons d’infortune à la maison de retraite.
Il a raconté son départ et surtout comment il avait réussi à passer ‘’entre les mailles du filet’’. Souvent, le français revenait et d’un coup de coude de ma part, il reprenait en catalan…..
A son retour, les yeux toujours brillants, il m’a dit qu’il venait de tourner une page et que son pays, c’était la France.
Pour le 14 juillet, au son de la marseillaise, il se tenait toujours debout.
Sur la fin, il passait ses journées dans la cour en fumant un petit cigare et surtout heureux de son sort…..
Il décède le 20 décembre 1993 à Azille (11)."
Sources principales:
- Souvenirs de familles; récit raconté à son fils Jean-Luc
- Liste officielle des prisonniers
- Archives ITS Arolsen, 02020201 oS/73570680/JOACHIM MARCH
* Diego Gaspar Celaya, « Portrait d’oubliés. L’engagement des Espagnols dans les Forces françaises libres, 1940-1945 », Revue historique des armées [En ligne], 265 | 2011, mis en ligne le 16 novembre 2011, consulté le 18 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/rha/7345
Commentaires
Jérôme 21-01-2021 08:38
Quel travail de recherche d'informations.
Merci estelle et jean luc.
Document à la fois enrichissant, étonnant et émouvant. Jamais je ne m étais douté une seule seconde de tout ce que mon grand-père "quimet" a enduré. Il a eu une vie, comme tant d'autres , hors norme.
Jamais je ne l ai entendu se plaindre (peut-être pour me protéger) ou se lamenter sur son sort ou sa vie.
L image que je garderai de mon grand-père ? Le voir fumer son cigarillo assis dans son fauteuil au milieu de la cour ou le voir manger un esquimau au chocolat acheté au café du coin.( il était très gourmand)
Ne jamais oublier mon grand-père ou ces hommes qui se sont battus pour la liberté.
Respect à toi papi!
Michelle 25-01-2021 09:35
Quel travail de recherches, d.investigations et aussi de récits d.histoires affectives personnelles et familiales !!! Bravo et merci infiniment Jean Luc pour nous tous.
C.est une partie de la mosaïque de sa personnalité qui est dévoilée pour certains d’entre nous .... mais il y aurait aussi tant de choses à découvrir de ce Papa qui je pense avait décidé de tourner le dos à une partie de son passé et de vivre comme il nous l’a si bien montré dans le présent ......
Bisous et à plus 🎶⚽️
MARCH 29-01-2021 03:26
Beau boulot Papa ! ton travail de recherche nous permet à tous de connaitre une partie de la vie de ce "Papi gâteau", à en croire ce récit la vie n'a pas été de tous repos pour lui ! Je garde en tête, son regard malin et son sourire malicieux, quand il allait dans son armoire pour me donner un petit billet (qui était caché dans une boite en métal) en me disant "tu ne dis rien à ta grand-mère" !
Je ne soupçonnais pas à l'époque tous ce qu'il avait pu vivre par la passé !
Bon vol Papi !